Les écrits du Monday Club : une contribution à l’étude du hors champ de la droite britannique (2024)

1Cette étude porte sur les textes publiés par le Monday Club sur une période qui s’étend de 1961 au milieu des années soixante-dix, date à laquelle il connaît une crise interne grave qui fait voler en éclats une unité de façade et aboutit à un ralliement assez net du nouveau courant majoritaire aux thèses défendues par Margaret Thatcher et ses partisans au sein du Parti conservateur.

2Le propos est de tenter d’apporter une contribution à l’étude de la pensée de la droite radicale britannique dans une perspective qui privilégie les regards croisés et l’exploration des échanges interculturels transmanche. Après une brève présentation des activités et des publications du Monday Club, je compte développer et illustrer la thèse de son appartenance à la droite de résistance et de contestation et tenter de démontrer que l’armature conceptuelle du discours de la dénonciation dans ses publications se caractérise par de multiples emprunts aux représentants français de la pensée anti-Lumières et contrerévolutionnaire sur la longue durée. Les écrits du Monday Club témoignent de l’influence exercée par une tradition intellectuelle «continentale», celui-ci allant chercher en France notamment, dans la tradition de la droite chrétienne/catholique, monarchiste et autoritaire, les figures tutélaires censées authentifier et apporter légitimité à la réflexion proposée dans les pages de ses publications. C’est dans cette optique qu’il est possible d’évoquer la notion de hors-champ ou de hors-cadre spatial et temporel.

3L’évolution de la réflexion et du discours dominant au sein de ces publications vers un soutien de plus en plus marqué à la Nouvelle Droite1 sera pour nous l’occasion de nous interroger sur les fluctuations doctrinales de ce courant de la droite radicale britannique.

4Fondé le 1er janvier 1961 par une poignée de jeunes militants conservateurs en réaction au discours du Vent du Changement prononcé en 1960 par le Premier ministre conservateur Harold Macmillan lors d’un voyage officiel en Afrique du Sud, le Monday Club constitue un exemple rare de dissidence conservatrice, voire de factionnalisme2 au sein du Parti conservateur, à une date où ce dernier se distingue encore de ses adversaires travaillistes par sa capacité à imposer une discipline stricte dans ses rangs. Ses membres fondateurs reprennent le flambeau de la League of Empire Loyalists,3 dont une partie rejoint du reste le Monday Club à cette occasion. Le discours du Vent du Changement, qui officialise le 3 février 1960 une politique de désengagement colonial effective depuis plusieurs années déjà, est sans conteste un élément déclencheur déterminant, qui suscite une levée de boucliers parmi les plus fidèles défenseurs de l’Empire. La création du Monday Club en réaction au discours d’Harold Macmillan, témoigne de l’importance de l’Empire colonial et de la place particulière qu’il continue d’occuper dans l’imaginaire d’une certaine droite britannique: investi de vertus essentielles, lieu mythique de la régénération, l’Empire reste un espace de la revanche où il devient possible d’écrire une contre-histoire4. Toutefois, ce célèbre discours cristallise toute une série d’oppositions qui dépassent le cadre de la politique de décolonisation, perçue comme le symptôme de l’esprit de compromission qui règne au sein du Parti conservateur, ou du moins de son équipe dirigeante. Le Monday Club entre donc en résistance pour s’opposer systématiquement non seulement à l’adversaire travailliste mais aussi et surtout aux orientations privilégiées par le courant majoritaire au sein du Parti conservateur. Cette contestation tous azimuts concerne l’intégralité des secteurs de la vie et de l’action politiques: politique économique et sociale, politique étrangère, aménagement du territoire et urbanisme, politique d’immigration, politique éducative et de santé, justice, sans négliger le champ de la production artistique et culturelle et la vie des institutions, bref, elle embrasse la totalité de la vie de la collectivité nationale.

5Le Monday Club développe très tôt une activité militante au niveau des associations de circonscription conservatrices et des associations étudiantes pour tenter de peser sur la définition de la ligne du parti, quitte à faire concurrence aux élus locaux et aux candidats conservateurs en ouvrant la perspective d’une autre politique5. Conscient du rapport de force, le Monday Club pratique une politique d’entrisme dont l’objectif est de convertir le parti parlementaire ou de constituer une faction suffisamment bien représentée auprès des députés de base au sein du 1922 Committee notamment pour pouvoir infléchir les positions et orientations de ses dirigeants6.

6La presse britannique7 du début des années soixante, et plus particulièrement la presse antifasciste, rend compte épisodiquement des activités militantes du Monday Club dans des articles qui présentent ses membres comme un ramassis de vieilles badernes, anciens de l’Armée des Indes, transfuges de la League of Empire Loyalists, soit, sans du reste que les analyses soient incompatibles, comme les membres d’un groupuscule néofasciste, antisémite, raciste et xénophobe. Sur le terrain, les membres des associations locales et étudiantes du Monday Club n’ont pas hésité à faire campagne sur les terres de l’extrême-droite, comme Peter Griffiths, dont le slogan de campagne à Smethwick en 1964, «If you want a nigg*r for neighbour, vote Labour» avait fait scandale, ou bien en faisant le coup de poing. L’affaire de Surbiton8 fit la démonstration que le Monday Club était prêt à bafouer les règles de l’affrontement démocratique en ayant recours à la calomnie, voire à la diffamation, dans les campagnes qui l’opposaient aux candidats soutenus par le Parti conservateur. Dans ses écrits consacrés à des problématiques sensibles telles que la crise rhodésienne, le régime d’Apartheid en Afrique du Sud ou bien encore la politique d’immigration du Royaume-Uni, le Monday Club a souvent publié, tout en prenant soin de décliner toute responsabilité collective, des textes que l’on peut qualifier de sulfureux et pouvant accréditer aux yeux de certains la thèse de relations «incestueuses» avec la pensée fasciste. Il ne s’agit pas ici de faire l’impasse sur la face obscure du Monday Club, ni de nier l’existence de ces pratiques ou d’édulcorer son message en passant sous silence les dérapages verbaux dont certains de ses membres ont pu se rendre coupables. Il s’agit plutôt de se concentrer sur l’influence d’un courant de pensée, extérieur, voire étranger9, à la tradition de la droite britannique, qui s’exprime par le biais d’un système d’échos plus ou moins explicites grâce auquel le Monday Club se distingue du mainstream conservateur tout en s’y opposant.

7Parallèlement à son militantisme de terrain, le Monday Club met en place une politique de publication qui témoigne de sa volonté de doter la contestation d’une armature idéologique et conceptuelle. On y décèle également la volonté d’ouvrir un autre horizon politique à droite en tentant de contrebalancer l’influence des représentants d’un conservatisme dit progressiste qui, par l’intermédiaire du très influent Bow Group notamment, est responsable à ses yeux du dévoiement du conservatisme et des dérives du Parti conservateur10. En quête d’un conservatisme authentique, le Monday Club condamne un parti qui a déserté le terrain des idées; face à des conservateurs jugés déviationnistes, le Monday Club s’érige en gardien du temple, se pose en garant d’un torysme traditionnel et s’impose la tâche de reformuler un dogme conservateur, purgé des tares qui l’ont conduit sur la voie de la déviance. Soucieux de pureté idéologique, il compte affûter la pensée conservatrice en un système performant, capable de rivaliser avec les idéologies concurrentes. La critique du dévoiement de la pensée conservatrice britannique s’inscrit dans la thématique plus large du déclin et de la dégénérescence nationale. Le discours de la contestation ouvre sur une vision du chaos lorsque les textes du Monday Club se chargent d’accents spengleriens pour décrire une réalité contemporaine dégradée et pervertie, le thème de la dégénérescence s’appliquant aux sphères politique, économique, sociale, culturelle et peut-être avant tout morale. Les auteurs des publications étudiées proposent une relecture de l’histoire, à rebours de l’interprétation whig ou de l’histoire refondée des révolutionnaires français, qui fait remonter l’origine du déclin à l’émergence de la pensée libérale et aux Lumières et instruisent le procès conjoint des idéologies libérale, socialiste et communiste. C’est dans le cadre de cette entreprise que le Monday Club rencontre les grandes figures de la droite contre-révolutionnaire, traditionnaliste et radicale. L’évaluation très critique des orientations poursuivies par les dirigeants du Parti conservateur est adossée à l’évocation des écrits des grandes figures de la droite contre-révolutionnaire, de la pensée anti-Lumières et de la droite traditionnaliste et radicale. Les publications du Monday Club tracent une ligne qui relie Joseph de Maistre et Louis de Bonald, à Charles Maurras et Gustave Thibon en passant par Georges Sorel, T. S Eliot, T. E. Hulme, Charles Péguy, Maurice Barrès, Hilaire Belloc et G. K. Chesterton. Il revendique ainsi son appartenance à la nébuleuse11 de la droite radicale, à une famille de pensée qui lui fournit une grille de lecture des enjeux de la politique contemporaine, perçus non sans une certaine grandiloquence, au travers du motif de l’histoire désespérante12.

8L’éventail des publications du Monday Club est assez varié: Monday News est un bulletin mensuel à usage interne consacré essentiellement aux informations pratiques et aux annonces de parutions ou de rencontres et conférences, agrémenté de quelques brefs articles qui reprennent, sous une forme synthétique et simplifiée jusqu’à s’apparenter à de simples mots d’ordre, des thèses ou argumentaires développés ailleurs; le Monday Club publie également à intervalles réguliers des dossiers thématiques ou monographies qui abordent des sujets d’actualité traités par des «spécialistes», l’approche se voulant alors plus technicienne; enfin, il publie un magazine trimestriel, Monday World, conçu comme la vitrine de la pensée du Monday Club: publication de prestige, Monday World affiche des ambitions philosophiques et culturelles et c’est en priorité dans ses colonnes que le lecteur est invité à se familiariser avec la pensée des figures tutélaires du Monday Club. Monday World offre une tribune aux héritiers d’une certaine tradition de la droite radicale, Thomas Molnar13, Raymond Denegri14, Gustave Thibon15 et Marcel De Corte16 sont des contributeurs qui perpétuent le souvenir de leurs grands aînés et entretiennent respectivement la flamme de la droite catholique traditionnaliste, du néo-thomisme et du maurrassisme. L’influence des penseurs de la droite radicale est également perceptible dans les textes signés par des membres du Monday Club17. De façon plus anecdotique et d’un point de vue purement formel et visuel, l’on note une proximité avec une certaine presse radicale et satirique, qui se caractérise par la virulence des attaques ad hominem, la férocité des caricatures et des portraits au vitriol, une certaine violence du verbe et une prédisposition à l’outrance. Mais l’on trouve surtout un système d’échos témoignant de la dette accumulée par un Monday Club qui revendique sa filiation avec la pensée anti-Lumières. C’est en explorant le thème de la trajectoire déviée que ses écrits remontent à l’origine de la faille et y rencontrent les penseurs contre-révolutionnaires qui encadrent leur tentative d’élaborer une conception alternative de l’être humain, de la société et du pouvoir politique, ou plus exactement de la souveraineté légitime.

9Le Monday Club reprend à son compte un discours qui condamne les principaux concepts philosophiques de la pensée des Lumières, où il voit l’origine maudite de la catastrophe. Il récuse toute conception abstraite de l’homme, pourfend la raison prométhéenne et récuse les thèses des penseurs contractualistes et plus précisément de Rousseau. À la chimère de l’état de nature, il oppose la préexistence d’un ordre social naturel: l’être humain ne fonde pas la société, il est constitué par elle. À l’abstraction d’individus libres et égaux, il oppose un être humain concret, enraciné, et héritier. En opposition à l’idée abstraite de liberté, il affirme que celle-ci passe par l’acceptation des normes qui transcendent l’individu et le temps présent. Le Monday Club reprend également à son compte l’organicisme de la pensée contre-révolutionnaire: entité originelle de la forme sociale, la famille est érigée en principe constitutif qui repose sur l’inégalité organique. Les publications du groupe défendent une vision d’un ordre social juste car conforme aux lois de la nature, où la hiérarchie se justifie par la fonction. La défense des communautés naturelles et des corps intermédiaires se prolonge en une dénonciation de l’hypertrophie de l’État et de la chimère du peuple souverain.

10L’influence dominante reste toutefois celle de la pensée de Charles Maurras qui occupe une place particulière dans le corpus de textes publiés par le Monday Club, si bien que l’on est en droit de considérer que le penseur royaliste français exerce une sorte de magistère intellectuel sur certains auteurs. On sait que Charles Maurras s’est inspiré des contre-révolutionnaires monarchistes et des penseurs anti-Lumières, Joseph de Maistre et Louis De Bonald. On trouve dans son œuvre de violentes diatribes contre les idéaux révolutionnaires et nous venons de voir que tous ces éléments sont également présents dans les textes du Monday Club: la condamnation des valeurs de la Révolution française, qui aurait instauré le temps de l’anormalité, jusqu’aux figures de style et aux images qui trahissent l’influence de Maurras, notamment en associant révolution et contamination, révolution et perversion, révolution et dénaturation. De plus, la condamnation des idéaux révolutionnaires se fait dans le deux cas dans une perspective bien particulière, celle de la dénonciation de la dimension romantique de la Révolution qui place le sujet au centre de l’univers, qui substitue la vision subjective à l’observation empirique et libère la raison prométhéenne.

11L’importance de la philosophie réaliste et du positivisme sont également des points de convergence qui doivent être soulignés. Le parti pris de «réalisme» d’un Maurras qui se voulait, en ce point précis, l’héritier d’Auguste Comte et de Le Play est l’un des motifs centraux de son œuvre. Dans l’avant-propos de Mes Idées Politiques,18 il pose le principe de la politique naturelle et préconise l’observation des faits de nature, l’empirisme, comme prélude indispensable à la réflexion et à l’action politiques. L’approche empirique permet de démontrer l’existence irréfutable de la nation comme fait de nature, cautionné par des siècles d’histoire. Dans l’œuvre de Maurras, la description est complétée par la prescription: la nécessité de la vie de la nation, organisme vivant, impose des choix politiques regroupés sous l’appellation de «réalisme politique». Le réalisme politique de Maurras réapparaît dans les publications du Monday Club par l’intermédiaire d’un recours à l’éthologie. De nombreux textes commentent et interprètent les découvertes de Ardrey, Tiger et Fox, Konrad Lorenz et Desmond Morris et révèlent l’existence d’un «être-dans-la-société», préprogrammé, également appelé biogrammaire, perceptible dans les sociétés «pré-humaines» ou primitives. S’opposant aux théories contractualistes, le recours à la protoculture, sorte de structure profonde du comportement social, constitue un schéma normatif de l’organisation sociopolitique dans lequel est inscrite en creux une typologie de la déviance. La légalité naturelle qui affirme la nécessité de la différentiation sociale, de la hiérarchie et de l’inégalité comme principes structurants et instruments d’organisation, recoupe et avalise une philosophie imprégnée de darwinisme social. Ils affirment également l’idée de la dépendance de l’homme à son milieu, puis à la société, et en concluent la primauté du collectif sur l’individuel.

12Chez Maurras, comme dans les publications du Monday Club, le réalisme philosophique conduit à l’adoption d’un programme politique dont la finalité est la préservation du corps social par le respect des lois naturelles. Le principe hiérarchique, principe structurant, garant de l’intégrité nationale, doit être appliqué de façon systématique: le macrocosme national doit reproduire l’organisation du microcosme familial. Le Monday Club fait l’apologie du système monarchique, système pyramidal s’il en est, comme le maurrassisme adopte le royalisme; il défend la théorie des chefs naturels et le principe dynastique de transmission du pouvoir.

13Le nationalisme du Monday Club se double d’une perception douloureuse du déclin national. Le thème de la dégénérescence et de la mort de la nation sont des thèmes centraux des écrits du Monday Club qui tentent de débusquer les responsables du déclin qui précipitent la nation vers le néant. En termes politiques et institutionnels, le principe démocratique et l’idée d’égalité, ces ennemis de l’intégrité nationale, sont en contradiction directe avec l’idéal élitiste et inégalitaire et menacent la nation de désintégration. Le Monday Club, comme Charles Maurras, condamne les institutions démocratiques; il condamne également la superstructure idéologique dont les structures politiques démocratiques ne sont que les effets; il attaque les deux notions de droit et de liberté pour mieux les reformuler en accord avec une définition pré-moderne, médiévale et féodale: la liberté est une autorité, un pouvoir de type social; pour les classes inférieures, c’est la soumission. À la notion de droit, le Monday Club substitue celle de devoir pour le bien de la communauté.

14Les choix politiques du Monday Club, s’ils sont guidés par l’option positiviste, sont également, comme chez Maurras, la transposition de critères esthétiques dans le domaine du politique. L’on connaît le Maurras helléniste, épris de classicisme, on trouve également dans les textes du Monday Club le principe aristotélicien de la Cité idéale, le goût de la mesure, de l’équilibre des formes et des dimensions, ce qui donne une coloration esthétique à sa pensée politique. La présence de Maurras dans les écrits du Monday Club est du reste perceptible jusque dans les incohérences d’une pensée paradoxale: le goût de l’ordre et de la mesure côtoie de fréquents appels à la violence qui fomente le désordre. Il s’agit de livrer une guerre ouverte aux ennemis de la nation: pour le Monday Club, l’ennemi extérieur est représenté par l’Union Soviétique et l’Internationale communiste et l’ennemi intérieur, l’anti-nation, prend tour à tour les traits de l’immigré, du syndicaliste ou du spéculateur.

15L’on peut considérer que les grands thèmes du maurrassisme que l’on retrouve dans les publications du Monday Club ne sont pas en contradiction avec les principes fondamentaux d’un torysme traditionnel, c’était du reste la thèse défendue par T.E. Hulme et T.S. Eliot, dont la lecture de Maurras influence probablement le Monday Club. Le réalisme politique, l’importance des communautés naturelles, l’impératif inégalitaire, le discours du déclin, sont des motifs que l’on associe volontiers au torysme. Il est effectivement possible dans une large mesure de réintégrer le Monday Club dans la tradition d’une certaine droite radicale britannique qui s’exprime à intervalles réguliers; l’on peut voir dans le courant traditionnaliste du Monday Club l’héritier d’un mouvement de contestation tory qui s’opposa au Home Rule et à la réforme de la Chambre de Lords durant la période édouardienne par exemple. La rébellion des backwoodsmen, et par extension celle du Monday Club, s’inscrit dans un courant qui a périodiquement exprimé son désenchantement vis-à-vis des leaders conservateurs ou libéraux et s’est donné pour mission de contraindre le Parti conservateur à respecter et à réaffirmer les grands principes de la tradition tory. Le Monday Club serait alors une manifestation supplémentaire d’un phénomène conjoncturel19 lié au manque de dynamisme idéologique d’un Parti conservateur frileux, plus soucieux de s’adapter que de proposer.

16La question de «l’anglicité» de cette tradition est difficile à trancher, tout comme l’est celle de l’antériorité de l’une ou l’autre tradition nationale, française ou britannique; on peut certes suivre Richard Griffiths et rappeler l’existence d’une tradition britannique antérieure au développement du maurrassisme par exemple, ceci n’invalidant toutefois nullement à ses yeux la réalité des regards croisés transmanche. Les écrits du Monday Club ne négligent pas les contributions et les apports d’auteurs qui se situent dans le champ britannique de la production des grands thèmes de la droite radicale, tels que T.E. Hulme, Wyndham Lewis, T.S. Eliot, Hilaire Belloc et G.K. Chesterton; il semble toutefois qu’à propos de tels auteurs l’on doive immédiatement s’empresser de souligner leur position périphérique, à la marge du cadre de la culture politique nationale. Cette marginalité dialectique qui se décline en termes d’appartenance religieuse20 ou de nationalité est remarquablement incarnée par un T.S. Eliot, d’origine américaine et ardent défenseur de la tradition High Tory. Si bien que c’est probablement le motif de la «fertilisation croisée» qui s’impose dans l’étude de cette mouvance de la droite radicale.

17La très grande visibilité accordée à la tradition française et francophone de la droite radicale soulève toutefois un certain nombre de questions. On peut y voir de la part du Monday Club un souci de dramatisation: en faisant porter la lumière sur le décalage entre le conservatisme contemporain et les principes fondateurs d’un conservatisme authentique, ce que disent les références multiples aux grandes figures de la droite radicale outre-manche par le biais du motif de l’exil temporel et spatial, c’est avant tout le tarissem*nt de la pensée tory, tout en suggérant que l’on peut y déceler l’une des causes, peut-être la plus inquiétante, du mal anglais21. L’évocation de la pensée des représentants français de la droite radicale et anti-Lumières alimente également une veine nostalgique et, face à une réalité contemporaine dégradée, elle nourrit le mythe d’un Âge d’Or, ressort puissant de la mobilisation et de la contestation.

18Parallèlement, les publications du Monday Club, qui ouvrent leurs colonnes aux disciples de Maurras, et lorgnent du côté du Club de l’Horloge et du GRECE d’Alain de Benoist, affirment la permanence et la vitalité de la tradition de la droite contrerévolutionnaire et radicale ainsi que la pertinence de ses valeurs pour le monde contemporain, tout en témoignant d’une volonté de former un réseau de coopération et d’alliance avec des mouvements relativement bien implantés dans un environnement politique plus favorable, du moins à leurs yeux, et pouvant se prévaloir d’un héritage doctrinal solide.

19La tentation est grande de se complaire dans le monde des idées et de se cantonner aux débats doctrinaux. Toutefois, contrairement aux auteurs qui alimentent sa réflexion et dont Richard Griffiths souligne fort justement que l’impact fut avant tout culturel22, le Monday Club est engagé dans le combat politique, en tant que ginger group23 comme il aime à se définir, et s’inscrit, malgré quelques incartades, dans le cadre strict de la démocratie parlementaire. L’évolution du discours du Monday Club, depuis sa création jusqu’au milieu des années 70, doit nous convaincre de la nécessité d’aborder la question de la droite radicale, et de la signification de cette terminologie, non pas uniquement du point de vue de la fidélité aux idées de la contrerévolution et de ses différentes incarnations au fil des siècles mais aussi par le biais d’une tentative de modélisation. La droite radicale ne se développe pas in vacuo, dans un espace idéologique coupé de la réalité de la compétition entre les différents partis politiques, elle ne se construit pas non plus dans une certaine forme d'indifférence à l'égard des évolutions de la société et les mutations socio-économiques; ces dernières pèsent sur le débat d’idées, font bouger les lignes de l’affrontement politique et contraignent les partis à un repositionnement. La configuration politique du début des années soixante est propice à l’émergence d’un discours de droite radicale, si l’on suit la typologie établie par Herbert Kitschelt et Anthony Mc Gann dans leur ouvrage sur la droite radicale en Europe occidentale: un Parti conservateur désaxé aux yeux des tenants de la droite radicale fait le choix du recentrage à l’approche de la consultation électorale de 1964 et choisit pour cible l’électeur médian, en faisant le pari de la fidélité de son électorat «captif»; il libère ainsi un espace politique dans lequel s’engouffrent le Monday Club ainsi qu’Enoch Powell. L’émergence de la contestation à droite s’explique donc par la stratégie électorale du Parti conservateur, mais aussi par la pression exercée par un parti travailliste, ayant temporairement mis un terme aux querelles internes de la fin des années 50, réunifié autour d’une synthèse inspirée par l’ouvrage d’Anthony Crosland, The Future of Socialism, et qui s’est doté d’un leader dont on souligne à l’époque la jeunesse et le charisme24. C’est ainsi que le Monday Club va brosser le portrait d’un Parti conservateur renégat, coupable d’avoir trahi les idéaux et les valeurs d’un conservatisme authentique en cédant aux sirènes du consensus et du recentrage; le reniement des valeurs historiques fondatrices de la pensée conservatrice est assimilé à une sorte de trahison des clercs.

20Si l’on néglige cet aspect de la problématique, on est alors confronté à une sorte d’impasse logique dont on ne peut sortir qu’en soulignant l’incohérence de la pensée de la droite radicale. Dans le cas du Monday Club, le discours évolue d’un antilibéralisme qui évoque les Tory Radicals des années 1840 et la contestation de la notion de cash nexus associée à la montée en puissance de la bourgeoisie libérale au milieu du XIXe siècle mais dans laquelle on perçoit également les échos de la pensée distributiste et décentraliste d’un Chesterton et d’un Belloc qui se prolonge avec le mouvement du Crédit Social par exemple, vers un soutien apporté tout d’abord à Enoch Powell25, puis au thatchérisme balbutiant des années 70, le thatchérisme de l’économie libre et de l’État fort pour paraphraser le titre d’un ouvrage d’Andrew Gamble26. Le soutien à Enoch Powell ne va pas de soi pour le Monday Club: certes celui-ci est propulsé sur le devant de la scène politique au printemps 1968, grâce à son discours dit des «rivières de sang», mais l’offre politique du powellisme ne se limite pas au racisme populiste et xénophobe du discours de Birmingham. Dans son ouvrage Freedom and Reality27, Enoch Powell défend des thèses qui s’apparentent à celles de l’Institute of Economic Affairs et annoncent le tournant libéral (et autoritaire) de la Nouvelle Droite.

21Le Monday Club évolue donc avec l’ensemble de la sphère politique, sa position sur l’axe paradigmatique de l’offre politique dans le contexte concurrentiel du marché électoral le conduit à privilégier certains aspects du discours radical, ou plus exactement certaines interprétations ou lectures des principes fondateurs et valeurs fondamentales de la droite radicale compatibles avec les thèses de la Nouvelle Droite qui conjuguent libéralisme économique et autoritarisme culturel. Suggérer que la transition s’est faite sans heurts serait bien sûr erroné puisque le Monday Club s’est déchiré à cette occasion et les partisans du courant que l’on peut qualifier de traditionnaliste s’en sont éloignés. Il est intéressant de voir aujourd’hui, dans un contexte politique, culturel et socio-économique différent, que le Parti conservateur revisite le fond doctrinal de la pensée de droite, renoue avec la dimension distributiste et redécouvre les vertus d’un radicalisme ‘social’28.

22L’étude des écrits du Monday Club ouvre une perspective sur un courant de pensée méconnu et négligé de la droite britannique, dont les références et les modèles transcendent les frontières nationales et qui entretient des relations privilégiées avec la droite radicale d’expression française. Malgré son peu de visibilité et ses succès mitigés sur la scène politique, ce courant n’en est pas moins un élément constitutif déterminant de la pensée conservatrice, qu’il permet de distinguer du Libéralisme par exemple. Que le Monday Club ait parfois, avec une certaine dose d’opportunisme mercenaire, puisé dans un fonds doctrinal dont il respectait peu les nuances et les spécificités ne fait aucun doute. Qu’il ait offert une tribune à des idéologues de la droite radicale est également indéniable, contribuant ainsi à assurer la diffusion et la pérennité d’une pensée multiforme qui continue d’interpeller le Parti conservateur.

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